
Ça s’est terminé comme ça. La rédaction de Charlie Hebdo a été décimée, mercredi 7 janvier, à midi tapantes, au beau milieu de la conférence de rédaction, et on n’avait rien vu venir. C’est un deuil sans précédent dans l’histoire qui frappe aujourd’hui le 10, rue Nicolas-Appart, à Paris, où les dessinateurs Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, l’économiste et écrivain Bernard Maris, les policiers Franck Brinsolaro et Ahmed Meradat, le correcteur Mustapha Ourad, l’ancien directeur de cabinet Michel Renaud, la psychanalyste Elsa Cayat, et l’agent d’entretien Frédéric Boisseau ont péri, hier, sous les balles abjectes du fanatisme. Organisés en commando armé, les trois hommes cagoulés ont aussi blessé une dizaine d’autres personnes dans leur sinistre attaque, certaines grièvement.
Les témoignages, versés peu à peu durant la journée hier, comme autant de larmes sur nos joues, nous ont tous pris à la gorge. « Devant la porte de l’immeuble du journal, deux hommes cagoulées et armés nous ont brutalement menacées. Ils voulaient entrer, monter. J’ai tapé le code. Ils ont tiré sur Wolinski, Cabu… ça a duré cinq minutes… Je m’étais réfugiée sous un bureau… Ils parlaient parfaitement le français… Se revendiquaient d’Al Qaïda », a raconté, brisée, la caricaturiste Coco au journal l’Humanité.
Spontanément, et à l’appel des réseaux sociaux, comme dans d’autres villes de France et du reste du monde, des milliers de personnes se sont rassemblées sur la Place du Capitole à Toulouse en fin d’après-midi. Plus de 8 000, selon les estimations. Et les gens venaient, mi-hagards, mi-horrifiés, une boule au ventre, restaient un peu, ou beaucoup, sans trop savoir quoi dire, quoi faire, sinon allumer une petite bougie, accrocher un petit panneau de fortune sur les murs en briques roses de l’Hôtel de ville. « Je suis Charlie. »
Ce drame épouvantable a écorché tous les esprits, car il a forcément frappé à vif notre conception de la liberté. Liberté d’expression, certes, mais aussi liberté à rire, celle qu’ils ont payé de leur sang. Liberté d’aller et venir aussi, et liberté de vivre sereinement, sans craindre à perpétuité les assauts meurtriers de quelques funèbres salopards qui ne représentent jamais qu’eux mêmes. Charb, ayant fait l’objet de multiples menaces, vivait sous protection policière.
Qu’on les aime ou non, les dessins de Charlie, s’ils heurtent — et c’est tant mieux — bien des sensibilités, le droit à s’exprimer librement, à créer, à dessiner, ne devrait s’entraver jamais, jamais, d’aucune barrière. Et surtout pas celle d’un certain tir fatal de kalachnikov, la plus ignoble de toutes, qui a tout fait basculer.
On aurait envie d’écrire le plus beau texte du monde pour ces plumes pleines de vie percées par les balles. On se contentera de ce petit texte-ci. Ils ont crevé dans une flaque de sang, nos confrères et nos consoeurs de Charlie Hebdo. Qu’on leur rende hommage, car la satire perd des plumes irremplaçables. Qu’on leur rende hommage, sans plier, et qu’on poursuive le chemin qu’ils ont taillé.